Samantha Cristoforetti rêvait de voyager dans l’espace depuis sa plus tendre enfance. Aujourd’hui, elle partage son expérience cosmique avec ses amis terriens.
D’une certaine manière, il s’agit d’une réunion du Rotary comme les autres.
Les dizaines de membres du Rotary club de Köln am Rhein se retrouvent par une belle soirée dans un des trois célèbres immeubles de bureaux de Cologne, les kranhäuser — des merveilles architecturales en forme de L qui surplombent le Rhin. Ce soir-là, la conférencière est une membre du club qui va organiser une visite virtuelle de son lieu de travail. La connexion Internet laisse à désirer et les membres sont impatients d’assister à cette présentation.
Elle apparaît enfin à l’écran et la réunion prend alors une tournure inédite. En effet, Samantha Cristoforetti, une astronaute à bord de la Station spatiale internationale (ISS), flotte librement dans l’air.
Cela fait quatre mois qu’elle y séjourne pour sa seconde mission. L’ISS est un vaisseau de recherche qui a la taille d’une maison avec six chambres et qui est en orbite autour de la Terre. Samantha répond aux questions et impressionne les membres en leur montrant des vues de l’espace. « La plupart du temps, je reste dans la coupole parce qu’il est possible de montrer la Terre à travers les hublots », explique-t-elle.
Les effets personnels des astronautes sont rigoureusement contrôlés et leur poids total ne peut pas dépasser 1,5 kg. Dans ceux de Samantha se trouve le fanion rouge et blanc du Rotary club de Köln am Rhein. À la fin de la réunion, les membres de son club la remercient par un tonnerre d’applaudissements.
Elle s’éloigne de la caméra en laissant le fanion flotter derrière elle.
L’aventure spatiale de Samantha commence durant son enfance qu’elle a passée dans un tout petit village des Alpes italiennes — elle prend goût à l’aventure durant les étés passés à explorer la forêt avec ses cousins et les hivers sur les pentes de ski. Mais ce sont les livres qui aiguisent son imagination et expliquent son ascension météorique. « Je suis certaine que je ne serais jamais devenue astronaute si je n’avais pas gravi une échelle pour atteindre la Lune, si je n’avais pas voyagé en Chine avec Marco Polo ou participé à des batailles épiques aux côtés de Sandokan », relate-t-elle dans son livre , Diario di un’apprendista astronauta paru en 2018.
Lorsqu’elle a 17 ans, elle participe à un échange de jeunes qui lui permet de se rendre à St. Paul dans le Minnesota. « Les voyages dans l’espace me fascinaient déjà et j’adorais Star Trek, avoue-t-elle. Tout cela tournait autour des États-Unis. » Un jour, elle voit une publicité pour un Space Camp à Huntsville dans l’Alabama. Samantha est partante. Elle étudie la navette spatiale et simule une mission de 24 heures. « J’ai pu jouer à l’astronaute pendant une semaine, dit-elle. Cela m’a énormément rapproché de cet univers. »
Petit à petit l’espace se dessine
À son retour en Italie, elle se lance dans une deuxième aventure qui l’amène à acquérir les compétences nécessaires pour devenir un jour, si l’opportunité se présente, astronaute. Elle fait des études d’ingénieur et devient la première femme pilote de chasse dans l’Armée de l’air italienne. « Je ne dirais pas que j’étais obsédée, déclare-t-elle. Je prenais du plaisir à apprendre et à faire ce que je faisais à l’époque. Mais je continuais de rêver. »
Samantha Cristoforetti reçoit sa combinaison au centre d’entraînement où elle a simulé une sortie dans le vide spatial sous l’eau. Photo : Centre d’entraînement Youri-Gagarine
L'European Space Agency n’avait recruté des candidats astronautes qu’à deux reprises, la dernière étant au début des années 90 lorsque Samantha était encore adolescente. Quand l’agence lance un appel à candidatures en 2008, elle sait qu’une telle opportunité risque de ne jamais plus se représenter.
Comme les 8 412 autres candidats, elle participe au processus de recrutement qui inclut des tests d’aptitude, des évaluations psychologiques, des examens médicaux et des entretiens. Elle se remet même à niveau en russe en écoutant un livre de Harry Potter. Finalement, on lui annonce la bonne nouvelle qui lui permet de concrétiser son rêve d’enfance. « Lorsque vous recevez cet appel vous informant que vous avez été sélectionnée, vous en avez le souffle coupé car les chances étaient vraiment infimes », dit-elle.
Elle commence donc à s’entraîner en septembre 2009 en vue de missions à la Station spatiale internationale. Pour les sorties dans l’espace, elle fait des exercices sous l’eau pour simuler l’apesanteur. Elle doit se préparer à porter une combinaison russe ou américaine qui sont faites sur mesure. Et elle se prépare aux situations d’urgence au cas où, par exemple, le cordon la reliant à la station spatiale devait se détacher.
Durant ses entraînements, Bernd Böttiger, membre du Rotary club de Köln am Rhein, fait la connaissance de Samantha. Bernd est un spécialiste de stature internationale de la médecine d’urgence qui enseigne aux astronautes des procédures de réanimation. « Elle m'a impressionné par son caractère extrêmement positif, sa ténacité, sa franchise et sa concentration, dit-il. Je comprends facilement pourquoi sa candidature a été retenue parmi des milliers. »
En novembre 2014, après une longue attente, Samantha est prête à partir dans l’espace.
Attention au décollage
« Пуск », dit la radio du cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan. Lancement. Le carburant commence à pénétrer dans les chambres de combustion du vaisseau spatial russe Soyouz TMA-15M.
« Зажигание ». Allumage.
« Пошли ! » Allons-y ! crie le commandant de l’équipage, Anton Shkaplerov. Samantha Cristoforetti et son collègue Terry Virts l’imitent alors qu’ils sont catapultés dans le ciel. C’est le même cri que les cosmonautes lancent depuis que Youri Gagarine a été le premier être humain dans l’espace en avril 1961.
Avant de s’envoler dans l’espace, les équipages suivent des rituels bien plus sophistiqués que les vieilles traditions du Rotary. Dans les jours précédant le décollage, comme le raconte Samantha dans son livre, les activités incluent le visionnage d’un film datant de l’ère soviétique, la plantation d’un arbre dans l’Allée des Cosmonautes et un toast porté avec un verre de jus de fruit. Le jour du départ, les membres de l’équipage signent la porte de leur chambre d’hôtel, reçoivent la bénédiction d’un prêtre orthodoxe et se dirigent vers leur bus au son d’un célèbre morceau de rock russe. Enfin, une fois à bord de la station spatiale, les nouveaux astronautes reçoivent un insigne, ce qui rappellera quelque chose aux membres du Rotary.
Alors que les secondes s’écoulent à bord du Soyouz, Samantha et ses camarades d’équipage sont plaqués contre leur siège avec une force accrue avant qu’après neuf minutes les moteurs s’éteignent parce qu’ils sont en orbite. « Dans leurs gants épais, mes mains sont suspendues au niveau de mes yeux comme si elles n’étaient plus attachées à mon corps, écrit-elle dans son livre. Dans un retournement immédiat qui va à l'encontre de millions d'années de mémoire musculaire, je dois faire un effort pour les garder près du corps. »
Il leur faut environ six heures pour atteindre la station spatiale et, après deux heures de travail, le sas entre le vaisseau Soyouz et la station de recherche s’ouvre. Anton Shkaplerov pousse gentiment Samantha pour qu’elle parvienne se faufiler. C’est « comme un second accouchement, décrit-elle, un de ces rares moments où le passé et le futur se rencontrent ». Elle devient alors la 216e personne à séjourner dans la station spatiale.
Une série de « premières »
Depuis l’arrivée d’un Américain et de deux Russes en 2000, la Station spatiale internationale a été occupée par des astronautes provenant de 23 pays dans une course qui s’apparente à un relais qui dure maintenant depuis 24 ans sans interruption. Samantha a participé à deux missions, la première de novembre 2014 à juin 2015 — à l’époque la plus longue réalisée par une femme (200 jours) — et la deuxième d’avril à octobre 2022, dont deux semaines en tant que commandante de la station, faisant d’elle la première Européenne à occuper ce poste.
Samantha s’ajuste à toutes ses « premières » : sa première « nuit » (elle préfère flotter dans son habitacle que de s’attacher à une paroi) ; son premier repas (des œufs brouillés avec du porridge qu’elle avale alors qu’ils flottent autour d’elle) ; sa première visite aux toilettes (car l’urine étant recyclée, « la café d’hier devient le café de demain », écrit-elle dans son livre). Ensuite, elle peut se concentrer sur son travail d’astronaute.
Les horaires de travail sont de 7 à 19 heures. La journée commence par une réunion. La station est avant toute chose un vaisseau de recherche scientifique. Durant ses missions, Samantha a contribué à des recherches en médecine telles que les effets du bruit sur l’ouïe, le maintien du tonus musculaire ou l’ostéoporose, ainsi que d’autres domaines scientifiques tels que la physique des émulsions ou les propriétés des métaux.
Les astronautes ont la responsabilité du bon fonctionnement de la station, ce qui inclut les corvées car même dans l’espace il faut passer l’aspirateur, faire l’entretien et charger et décharger des vaisseaux de transport. Ils sont également obligés de faire de l’exercice deux heures et demie par jour pour éviter de perdre de la densité osseuse ou musculaire. Les réunions avec le directeur, le contrôleur de vol, le médecin ou le psychologue viennent s'intercaler dans la journée. Une fois leur travail terminé, ils peuvent téléphoner à leurs proches ou admirer la vue depuis la coupole, l'un des passe-temps préférés de Samantha.
« Parfois, il y a des semaines très chargées où l'on travaille tout le temps et où l'on passe d'une tâche à l'autre. Vous oubliez littéralement que vous êtes dans l'espace, explique-t-elle. Flotter devient votre mode de locomotion habituel. On oublie en quelque sorte ce que l'on ressent lorsqu'on est assis ou lorsqu'on marche. »
Elle n'en a pas moins conservé son sens de l`émerveillement. Lors de l'un des derniers jours de sa première mission, elle se souvient avoir repéré des nuages noctilucents, un type rare de nuages de haute altitude avec des volutes d'un bleu vif. « J'étais dans l'espace depuis plus de six mois, on pourrait donc penser qu'on devient un peu blasé, mais je me suis dit : "Oh mon Dieu, les voilà". »
Durant sa seconde mission, Samantha participe à sept heures « d’activité extravéhiculaire », ce que le commun des mortels appelle une sortie dans le vide spatial, une première pour une Européenne. Avec un collègue russe, elle déploie 10 nanosatellites dans le cadre d'une expérience et travaille sur un bras robotisé fixé à l'extérieur de la station spatiale pour aider les astronautes à effectuer les opérations de maintenance.
« C'est très difficile à réaliser, psychologiquement et physiquement, surtout pour une femme de petite taille comme moi, explique-t-elle. C'est une question de concentration et de volonté, et une fois que vous avez terminé, vous pouvez vraiment apprécier l'expérience. C'est un tel sentiment d'accomplissement que d'être finalement parvenue à le faire. C’est extraordinaire. »
Dans l'espace, les astronautes ne programment pas leurs journées ; ils n'ont pas à faire les courses ni à se battre dans les embouteillages. Une fois de retour sur Terre, ils subissent une sorte de choc culturel inversé, notamment en raison de cette chose enquiquinante appelée gravité. Lorsque Samantha est revenue de son premier voyage, raconte-t-elle dans son livre, elle a emprunté le téléphone d'un collègue pour appeler son compagnon, Lionel Ferra, qui travaille lui aussi pour l'Agence spatiale européenne. Après avoir terminé, elle repousse le téléphone vers son collègue, comme s'il allait flotter tout seul. Une erreur classique chez les astronautes. Elle se rattrape juste à temps.
Danser sans gravité
Samantha est astronaute, ingénieure, pilote de chasse — et une sensation sur TikTok. On peut lire dans sa biographie sur cette plateforme de réseau social, « Astronaute de l’Agence spatiale européenne qui va là où aucun Tiktokeur n’est encore allé. »
Sa page TikTok va des expériences scientifiques aux anecdotes sur la vie dans l'espace. Ses vidéos incluent comment utiliser les toilettes spatiales, comment flotter dans l’espace ou voler au milieu d’aurores boréales. Un autre spot montre comment boire son café. En raison de l’absence de gravité, il est impossible d’utiliser une tasse normale. Son mug en forme de saucière utilise l’action capillaire pour guider le liquide vers la bouche.
Samantha fait ses adieux alors que son équipage s'apprête à quitter la station spatiale. Après un voyage de trois heures, elle est de retour sur Terre. Photo : ESA/NASA
« Je voulais essayer quelque chose de nouveau et m'assurer que nous touchions les jeunes. Tout le monde me disait qu’ils étaient sur TikTok », raconte-t-elle. Je me suis dit : « Ça va être un problème. Je ne sais même pas comment danser. Je ne suis pas sûre que l'on puisse danser dans l'espace ». Mais elle a tenté le coup et s'est beaucoup amusée.
Si le travail à bord de la station spatiale est passionnant, Samantha trouve d’autres moyens de mettre du piment dans la vie en orbite. Cette Italienne typique s’associe à Lavazza pour avoir à bord la première machine à expresso, surnommée machine à ISSpresso. Elle fête son arrivée en revêtant un uniforme de Star Trek : Voyager. Le machine à expresso a un double emploi car elle sert également pour l’étude de la mécanique des fluides. Et dans le cadre de l’initiative de l'UNICEF, elle chante « Imagine » de John Lennon dans la coupole de la station spatiale, une des nombreuses versions incluses dans une vidéo sortie lors de la Saint-Sylvestre 2014.
Lorsqu'elle est sur terre, Samantha vit à Cologne avec son compagnon et ses deux enfants. Impressionné par son caractère, Bernd l'a invitée à rejoindre le Rotary club de Köln am Rhein entre sa première et sa deuxième mission. « J'ai pensé que c'était un bon endroit pour nouer des liens avec des personnes qui veulent peut-être vivre leur vie dans un but précis », affirme-t-elle. Et qui n’aurait pas envie de dîner avec une astronaute ? « Il est vraiment impressionnant de s'asseoir avec elle à une table et de manger et boire en sa compagnie », dit Bernd.
En dehors de l’espace, le travail de Samantha l’a amenée du fond des océans (pendant neuf jours, elle a été capitaine de l’équipage du NEEMO 23 de la NASA) aux fjords norvégiens où elle a participé à une expédition pour étudier des formations géologiques similaires au terrain lunaire. Cela pourrait lui être utile si un jour nous retournons sur la Lune.
Après avoir été partout, des profondeurs des océans à l'espace, quelle est la prochaine étape pour Samantha ? Elle se pose d’ailleurs la question. « Irai-je un jour en Nouvelle-Zélande ? Je n'en sais rien. C'est tellement loin. C'est un tel investissement en temps et en efforts. Lorsque j'étais dans la station spatiale, je survolais la Nouvelle-Zélande tous les jours. C'était si facile, n'est-ce pas ? dit-elle. Il me suffisait de regarder par le hublot et, d'une certaine manière, j'étais là. »
« Mais en même temps, on est curieux de voir à quoi ça ressemble de près, alors bien sûr, j'aimerais aller en Patagonie. J'aimerais aller dans les montagnes du Chili, tous ces endroits qui vous deviennent si familiers lorsque vous êtes dans l'espace. Et pourtant, ils sont si loin lorsque vous êtes sur Terre. »
Cet article est tiré du numéro de décembre 2024 du magazine Rotary.