Construire la paix dans un pays divisé
Lors d'une réunion d'une cinquantaine d'adolescents en Galilée occidentale (Israël), des élèves sont regroupés en binômes et doivent identifier en quoi ils étaient semblables et différents. Bien que la moitié d'entre eux soient juifs et l'autre moitié arabes, aucun d'entre eux ne mentionne cette distinction apparemment évidente. Lorsqu'on leur demande pourquoi, ils répondent simplement : « Nous sommes tous humains. »
La rencontre, à laquelle ont participé des élèves de quatre écoles de Jérusalem et de Galilée occidentale, s'inscrivait dans le cadre d'un programme d'éducation à la paix conçu et dirigé par Arik Gutler Ofir, diplômé de la paix du Rotary. Elle a été financée par une subvention mondiale de la Fondation Rotary et organisée par le Rotary club de Jérusalem qui propose de nombreuses initiatives en faveur de la paix.
Les élèves ont séjourné les uns chez les autres, et ils ont découvert la cuisine, la musique et la culture de leurs camarades. L'action a connu un tel succès qu'après la subvention, le rectorat local a intégré l'initiative — qui avait été coparrainée par le Rotary club de Mönchengladbach (Allemagne) et soutenue par des Rotary clubs et districts d'Australie, d'Allemagne et des États-Unis — dans son programme d'éducation civique.
« Lorsque vous amenez les enfants des deux camps à se connaître, vous créez une situation où l'autre n'est plus un ennemi », explique Dan Shanit, ancien clinicien, chercheur et développeur de programmes, qui a été président du club de Jérusalem à deux reprises–la dernière fois en 2021/2022. « Les ennemis sont anonymes. Ils n'ont pas de visage. Ce que vous voulez, c'est connaître l’autre. »
Depuis ses débuts, le Rotary club de Jérusalem s'est concentré sur la paix. Le club a reçu sa charte en 1929, à une époque où la région, y compris le futur État d'Israël et ce qui allait devenir les territoires palestiniens occupés de Gaza et de Cisjordanie, était sous domination coloniale britannique. La plupart des membres fondateurs étaient issus de l'élite britannique de la ville et, aujourd'hui encore, le club continue à tenir des réunions en anglais.
Conseils de construction de la paix pour les clubs
Le Rotary club de Jérusalem concentre son énergie et sa recherche de fonds sur l'éducation à la paix pour les jeunes arabes et juifs, et sur l'aide humanitaire aux enfants palestiniens. « C'est notre spécialité », déclare Dan Shanit, ancien président du club et ancien directeur général adjoint et responsable médical du Centre Peres pour la paix et l'innovation. « J'espère que cela continuera à l'être. » Dan Shanit a ces conseils pour les clubs situés dans des zones de conflit qui cherchent à avoir un impact sur la construction de la paix :
- Établissez des partenariats avec des établissements de soins pour apporter une aide médicale aux personnes de l'autre côté du conflit. C’est un excellent instrument pour rapprocher les peuples car il est difficile pour l'une ou l'autre des parties de la refuser.
- Exposez les enfants aux idées et aux valeurs de paix et de coexistence dès leur plus jeune âge, avant qu'ils ne développent des préjugés.
- Soutenez les actions qui rassemblent les enfants des deux côtés du conflit pour qu'ils apprennent à se connaître.
Pendant des décennies, ses membres se sont réunis au YMCA international de Jérusalem. Avec ses élégantes arches, ses dômes et sa tour, le bâtiment est un point de repère dans la ville et un lieu où trouver un terrain d'entente. Des membres arabes et juifs n'ont pas tardé à le rejoindre et, en l'espace de cinq ans, le club a eu son premier président non britannique, D.G. Salameh, un Arabe qui avait été adjoint au maire de Jérusalem. L'année suivante, Leon Roth, un professeur de philosophie juif, devient président.
La capacité du club à servir de lieu où des personnes de toutes confessions, origines et opinions politiques pouvaient trouver un terrain d'entente a été mise à l'épreuve pendant la guerre qui a entouré le retrait des Britanniques et la création de l'État d'Israël en 1948. Les combats ont divisé la ville entre le contrôle israélien et arabe, avec les Arabes à l'est et les Juifs à l'ouest et des barrières entre eux. Le YMCA se trouvait du côté israélien de la ville.
« Quand la guerre s'est terminée, Jérusalem était divisée, affirme Dan Shanit. La plupart des membres arabes qui vivaient dans les quartiers riches de l'ouest de la ville ont été expulsés ou ont fui. » C’est ainsi que le club a perdu ses membres arabes.
La guerre a repris en 1967 lorsqu'Israël a attaqué les États arabes voisins et conquis Jérusalem-Est, ainsi que les territoires arabes de Cisjordanie, de la bande de Gaza et du plateau du Golan, et a placé les Palestiniens sous occupation militaire. Jérusalem était à nouveau unifiée et il était possible de se déplacer librement, mais le Rotary club qui s'était formé à Jérusalem-Est s'est rapidement dissous. Les Palestiniens ne voulaient pas le rejoindre car situé dans la partie occidentale de la ville.
Rizek Abusharr, 86 ans, qui a découvert le Rotary alors qu'il s’occupait des jeunes au YMCA dans les années 50, raconte qu'il était l'un des rares membres arabes lorsqu'il a rejoint le club de Jérusalem il y a environ 40 ans. Il s'est senti bien accueilli et est devenu à la fois président du club (en 1987/1988) et directeur général du YMCA, une oasis au milieu du conflit qui oppose Israël aux Palestiniens. « À l'extérieur, il y avait de la colère, et à l'intérieur, il y avait la paix, se souvient-il. Nous avons maintenu la neutralité politique du YMCA et du Rotary club afin que juifs, chrétiens et musulmans puissent tous être sur un pied d'égalité. C'est ça le Rotary. »
Mais cela n’a pas été facile.
« La tâche la plus difficile dans le club était d'être en charge du programme », déclare M. Abusharr, qui est resté membre jusqu'à son déménagement en Californie et son entrée au Rotary club de Claremont en 2007. « Il fallait trouver un invité qui ne parle pas d'un sujet de discorde. Nous incarnions autant que possible le Critère des quatre questions. »
Pendant de nombreuses années, le YMCA abrite ce qu'il appelle un « jardin d'enfants de la paix », où les enfants israéliens et palestiniens participent à leurs fêtes respectives en hébreu et en arabe. Le club de Jérusalem est aussi devenu un sponsor essentiel de l'école, en proposant des bourses aux familles et en construisant une aire de jeux sur le toit.
En plein conflit israélo-palestinien, le club ne compte actuellement aucun Palestinien parmi ses 22 membres, mais il reste international, reflétant la présence d'organisations non gouvernementales et d'autres institutions internationales dans la région. Outre les Israéliens de naissance, le club compte des membres américains, néerlandais, allemands et nigérians. Un membre participe également aux réunions en ligne depuis son domicile à Hawaï.
Et l'objectif du club reste la paix. Ces dernières années, il a mis en œuvre son initiative d'éducation à la paix pour les jeunes juifs et arabes ainsi qu'une action d'assistance médicale aux Palestiniens. Grâce à une subvention mondiale, le club a permis à des enfants palestiniens souffrant de problèmes cardiaques congénitaux d’être opérés du cœur dans un hôpital de Jérusalem.
Le club a aussi participé cette année à une action visant à former des chirurgiens palestiniens et israéliens à la réanimation traumatique avancée dans des hôpitaux israéliens. Cette initiative, financée par une subvention mondiale, est un partenariat avec le projet Rozana qui aide les enfants palestiniens malades et forme des professionnels de santé palestiniens. La subvention est parrainée par le Rotary club de Holon (Israël) et le Rotary e-club du district 7610 (États-Unis), et est soutenue par d'autres clubs israëliens, australiens, canadiens et américains.
La dernière initiative du club de Jérusalem est une pièce de théâtre itinérante mettant en scène cinq acteurs juifs et cinq acteurs arabes qui se produisent dans les écoles et dans la rue, dans les deux langues. Un club contact, Wiesbaden-Kochbrunnen en Allemagne, a soutenu cet effort en collectant des fonds. « Le théâtre est la plateforme idéale pour faire passer un message sur la manière de gérer le conflit », explique M. Shanit.
Cet article est tiré du numéro de septembre 2022 du magazine Rotary.
Autres articles
Les sept Centres du Rotary pour la paix
Rotary voices: Why I am a peacebuilder
L'université de la paix positive du Rotary enseigne une construction durable de la paix